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Dans la Silicon Valley, des « Frenchies » heureux

Les entrepreneurs américains accueillent à bras ouverts cette main-d'œuvre qualifiée, créative et... bon marché.

Par  (San Francisco, correspondante)

Publié le 11 février 2014 à 12h05, modifié le 13 février 2014 à 17h19

Temps de Lecture 8 min.

 Florian Jourda dans les locaux de l'entreprise Box, lundi 10 février.

Les histoires de Silicon Valley commencent toujours dans un endroit mythique. Le Peet's Coffee, par exemple, à Palo Alto, de l'autre côté du campanile de l'université de Stanford. C'est là qu'ont eu lieu les premières réunions des fondateurs de la compagnie de virtualisation VMware en 1998. « Nous étions dix, se souvient Reza Malekzadeh. Aujourd'hui, c'est une société de plus de 15 000 personnes. » Le jeune homme, ayant grandi en France et sortant d'HEC, avait obtenu un stage en Californie grâce à un autre Français. Il n'a plus quitté la Silicon Valley.

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Le Peet's Coffee est toujours là. Neuf consommateurs sur dix ont un ordinateur ouvert devant eux. Le dixième est un prof engagé dans une conversation qui mêle biologie moléculaire et actionnaires. A 40 ans, Reza Malekzadeh n'a plus vraiment besoin de travailler. Il a revendu une start-up à Cisco et une autre à Oracle. Il a aussi fondé un réseau d'anciens élèves du système universitaire français, Alumni, qui compte 600 membres. « La France m'a accueilli à l'âge de 7 ans, quand je suis arrivé d'Iran. Elle m'a donné ma chance à travers un système d'éducation extraordinaire. Je lui suis très attaché », dit-il.

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Les Français que François Hollande va rencontrer pendant sa visite le 12 février à San Francisco sont des gens heureux. Contents d'aller travailler. Cécile Alduy a enseigné à l'université de Reims. Aujourd'hui, elle est professeur associée de littérature française à Stanford. « Ici, c'est par la relation entre le prof et l'élève que la transmission se fait. C'est du plaisir. Les étudiants participent. » Sylvain Kalache, diplômé de SupInfo, a 25 ans. « Je me lève, je suis content d'aller au boulot. » Déjà, le trajet en vélo ne lui prend que 10 minutes. Et son patron, chez LinkedIn, lui a demandé d'« éviter le burn-out ». A 16 h 45, sa journée de travail se termine par un cours de yoga.

60 000 FRANÇAIS À SAN FRANCISCO

Le consul de France à San Francisco, Romain Serman, estime à 60 000 le nombre de ses compatriotes dans la région de la baie, dont de 10 000 à 15 000 travaillent dans la high-tech. Une communauté soudée. « On est loin de la France. On est contents de se retrouver », explique Nathalie Gobbi, une ancienne de Sup de Co Paris qui a monté le site Internet « Lost in SF » (« perdus à San Francisco »). « On aime le débat, ajoute Reza Malekzadeh. Sur les réseaux sociaux, les ingénieurs français postent beaucoup de liens politiques. Les Américains, jamais. »

La France a toujours été présente à San Francisco, comme en témoigne Notre-Dame-des-Victoires, l'église fondée en 1856 pour accueillir les chercheurs d'or. Après la viticulture, les Français s'illustrent maintenant dans la haute technologie. « Dans n'importe quelle boîte de n'importe quelle taille, il y a des Français », affirme le consul. Le numéro 3 de Salesforce est un Français, comme le patron de la branche logiciels d'Apple ou le directeur financier de PayPal. Chez Tesla, la voiture électrique qui fait sensation, deux Français sont membres du comité exécutif, dont le patron de la production. Google TV a été conçue par Vincent Dureau, un ingénieur paralysé qui voulait créer une chaîne destinée aux handicapés sur YouTube. Il y a même une quinzaine de Français chez Google X, le labo secret du moteur de recherche, que les anti-Silicon Valley soupçonnent de préparer le Big Brother de demain. « On a un avantage compétitif, dit le consul. Une main-d'oeuvre qualifiée, créative et pas chère. » Ou, comme le dit un interlocuteur moins diplomate : « La France est à la Silicon Valley ce que le Maroc est à la France pour le textile. »

San Francisco est une ville d'ingénieurs qui, sans cesse, a besoin de cerveaux. Le taux de croissance dans la baie atteint des scores chinois : 13 % en 2011, 7,6 % en 2012. Les salaires sont au zénith : un codeur débutant touche 2 000 euros par mois en France. A San Francisco, c'est trois fois plus. « Ici, il y a une vraie reconnaissance des ingénieurs. Qui gère le monde aujourd'hui ? D'un côté la finance, de l'autre, les ingénieurs », lance Julien Barbier, 33 ans, qui a fondé l'association internationale des programmeurs français, While42. Tous les étés, de nouveaux diplômés débarquent à la poursuite du rêve californien. « C'est comme une arrivée de boat people », sourit Marc Rougier, le fondateur de Scoop.it. Certains réussissent très vite. Ils sont millionnaires à 25 ans et leur famille ne s'en doute même pas.

Lire (édition abonnés) : Article réservé à nos abonnés Plus du tiers des entreprises de la Silicon Valley comptent un dirigeant d'origine indienne

Pier 9, un ponton ultramoderne, près de l'embarcadère. Guillaume Luccisano, 27 ans, a les cheveux en bataille et l'air gentiment dans la lune. Les dashboards (panneaux muraux) sont couverts d'inscriptions. La cuisine est digne d'un Bocuse avec de l'acier inoxydable partout. Guillaume est diplômé de l'école d'informatique Epitech. Arrivé à l'été 2010, il a trouvé un job en une semaine, chez SocialCam, la plate-forme de partage de vidéos. Il se trouve qu'il connaissait le « ruby », un langage de programmation recherché à San Francisco. Depuis, la start-up a été rachetée 60 millions de dollars (44 millions d'euros) par Autodesk. Guillaume Luccisano n'a pas changé de mode de vie. C'est seulement quand « on reçoit l'argent sur son compte », dit-il, qu'on réalise que « c'est pour de vrai ».

Les jeunes de la « French Tech » adorent le style de vie de la Vallée. La tendance est au « brillant et furtif », décrit Ariane Zambiras, titulaire d'une bourse Fulbright de sociologie à l'université de Berkeley. « On aime le truc exclusif, le coup d'éclat ». Tout nouveau : le restaurant « pop-up » (qui ouvre et se referme). Un chef loue un lieu improbable et il y cuisine pour un soir, et un seul. Le vendredi, on aime écouter des artistes locaux dans des salles de concert qui n'en sont pas, un atelier, un ancien loft. Le samedi, on va parfois allumer des ballons-lanternes sur la plage. Le dimanche matin, c'est yoga – sur le toit, c'est encore mieux. La méditation est très encouragée. « La logique des boîtes, c'est de presser le cerveau des employés au maximum, tout en s'assurant qu'ils restent créatifs », résume un ingénieur.

LES FRANÇAIS VANTENT L'AMBIANCE DE TRAVAIL

Florian Jourda, 32 ans, est un polytechnicien qui fait du chant, de la méditation et des murs lumineux qui empruntent autant à l'art qu'à l'ingénierie. Après l'X et un master à Berkeley, il a travaillé pour le cabinet Boston Consulting, à Paris. « Je me suis ennuyé. Tout le monde était toujours fatigué, pas créatif. » Florian est revenu en Californie au moment de l'explosion du Web 2.0. Il aime son travail et la « méta-réflexion » qu'il suscite. « De l'agriculture à la médecine, des millions d'emplois vont être remplacés par des programmeurs, prévoit-il. Ça va entraîner une nouvelle lutte des classes. »

Florian Jourda est l'« employé no 7 » de l'entreprise de stockage en ligne Box. Les premiers salariés sont numérotés selon l'ordre d'arrivée. Cela montre à quel moment telle personne a pris le risque de rejoindre la start-up. Box compte maintenant plus de 1 000 employés. L'ingénieur vit dans un appartement de style victorien sur Dolores Street, nouveau quartier bobo. Son dernier projet : une lampe de 2 mètres d'envergure, en forme de grue. Il a commandé l'échafaudage chez les Chinois d'Alibaba.com. « En France, je n'aurais fait aucune de ces oeuvres, dit-il. Ici, je me suis vraiment libéré. Il n'y a pas cette division artiste ou pas artiste. » Un matelas est roulé dans un coin. Florian est un adepte du « couchsurfing », qui permet aux touristes du monde entier de se loger gratuitement chez des « locaux ». L'invitée de ce soir est une jeune Israélienne qui a monté une coopérative de produits bio. « C'est un peu la maison bleue sur la colline », dit-il, en référence à la chanson de Maxime Le Forestier.

Lire notre post de blog : Une semaine dans la Silicon Valley : neutralité du Net, Nest, Yahoo…

Le matin, Florian Jourda prend la navette pour la Silicon Valley, l'un des autocars de luxe qui provoquent le ressentiment des habitants de San Francisco. « C'est une heure de bulle, on n'est pas dérangé, dit-il. On roule sur la 280, c'est assez joli, on a l'impression de partir en vacances. » L'ingénieur dit lui-même que son salaire est « énorme » et qu'il a doublé depuis son arrivée en 2006. Mais la compétition est intense. « Quand j'écris une ligne de code, elle va peut-être être utilisée sur un milliard de téléphones portables. » Et à la longue, « passer d'une génération de technologie à une autre, c'est un peu usant ».

Les Français vantent l'ambiance de travail dans la Silicon Valley. « Les start-up, c'est l'inverse de l'esprit français », sourit Cécile Alduy, l'universitaire de Stanford. L'esprit de collaboration est indispensable, la hiérarchie volontairement en retrait. « On essaie d'avoir le moins de directeurs possible, poursuit Florian Jourda. Les managers sont censés se mettre en dessous de l'équipe plutôt qu'au-dessus. »

Rentreront-ils un jour ? Tous se posent la question. Guillaume Luccisano pense qu'il ira plutôt ailleurs à l'étranger. Florian Jourda est dubitatif : « A Saint-Germain, c'était une bulle du passé. Ici, c'est une bulle du futur. » A 39 ans, Alexandre Bayen gère un budget de recherche de 5 millions de dollars (3,4 millions d'euros) par an. Son bureau de Berkeley est un testament à son attachement pour la France : la photo de la descente des Champs-Elysées pour le 14-Juillet en uniforme de polytechnicien, une machine à calculer héritée de son grand-père, le physicien Maurice Bayen, ancien directeur du Palais de la découverte.

Son équipe développe de nouveaux algorithmes d'estimation du trafic sur les autoroutes californiennes. Les médias locaux attendent avec impatience son diagnostic sur les embouteillages de Los Angeles. Alexandre Bayen a aussi monté un stage d'immersion pour polytechniciens. A l'issue de leur séjour, ils doivent avoir conçu une start-up. « De la fuite des cerveaux à l'envers », sourit-il. Le professeur ne rentrerait en France que pour faire oeuvre de « réformateur ». Mettre en place une « université du futur » par exemple. Mais pourquoi rentrer quand on est aux premières loges d'une révolution ? Comme dit Florian Jourda, «ici on voit comment la technologie change la civilisation ».

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